Réflexion sur le passage à l'acte
Le mot "mur" pourrait
bien devenir le symbole de notre échec ou de notre réussite face à un certain
nombre de problèmes écologiques majeurs. Pourquoi ? Etudions les deux
expressions suivantes :
Aller droit dans le mur
Jusqu'à présent, l'obstacle se
situait bien loin du citoyen respectable vaquant à ses ordinaires occupations.
Son signalement était diffusé juste assez régulièrement pour qu'il s'intègre
déjà au paysage ; notre vitesse d’approche faisait l’objet d’estimations fort complexes
dont les divergences pouvaient laisser au profane le soin de l'oublier ; les
conséquences très étudiées d’un éventuel impact fournissaient souvent la
matière première à de divertissantes productions cinématographiques.
Nous étions à l'époque des
conseils salubres, toujours bienvenus
mais peu suivis. Nous nous persuadions que la puissance de notre savoir et de
nos mots suffirait à nous tirer d’affaire au moment voulu, et ceux qui
osaient en douter passaient au mieux pour de doux attardés incapables de
comprendre que tout était sous contrôle, au pire pour de pénibles mécréants
indignes de participer à la grande épopée humaine.
C’était une erreur stratégique,
et nous commençons à peine à l’entrevoir.
L'obstacle semble aujourd'hui
terriblement proche, et la rencontre aura probablement lieu. Comment atténuer
le choc, par quels moyens pourrons-nous modifier franchement vitesse et
trajectoire ?
Etre au pied du mur
Voici donc venu le temps -
beaucoup plus exigeant - du passage à l'acte.
Beaucoup refusent encore d'accepter l'idée de changements d'habitudes
un tantinet radicaux, en vue de parer à ces dangers paradoxalement nés d’une
certaine forme de réussite dans le développement de nos civilisations dites
modernes. Si quelques actions sont néanmoins consenties, elles s’avèrent souvent plus efficientes dans leur dimension symbolique (laquelle peut, il est
vrai, avoir son importance).
D'autres au contraire, convaincus qu'il est sans
doute bien trop tard pour changer de paradigme, s'en remettent à de géniales - mais hypothétiques - révolutions techniques.
Pourquoi cette réticence, au
fond ? Il se révèle, en enquêtant un peu, que tout un chacun sait
justifier les bonnes raisons d’observer un statu
quo : survie, famille, patrie, idéologie… lesquelles raisons, pour
respectables qu’elles puissent être, s’appuient toutes sur des considérations
locales ou personnelles, et pour tout dire souvent égoïstes. Il est vrai que notre monde nous apprend à penser et à
vivre ainsi.
Malgré tout, nombreux sont ceux
qui aimeraient poser un geste.
En consommant différemment par
exemple. Bonne idée ! Cependant méfiance, le "marché" s'est empressé
de répondre à cette demande en faisant croire que l'on pouvait aujourd'hui "rouler
propre" en voiture, voyager "écolo" en avion, bref, vivre comme
avant, tout en préservant la planète, ce qui en l'état actuel des connaissances
relève de la supercherie.…
En travaillant pour la nature
alors ? J'ai pour ma part longtemps eu la faiblesse de penser, par exemple, que
mes nombreux déplacements routiers professionnels, consacrés il y quelques années
à mon activité d'éducateur en
environnement, étaient réalisés"pour la bonne cause". Il n’en était
rien. Je contribuais innocemment à ce que l’enfer soit pavé de bonnes
intentions.
Dès lors, il apparaît aujourd'hui
que pour les "simples citoyens" comme moi, toute action véritablement
cohérente dépend non seulement de son
objectif - ici la préservation de l'environnement - mais encore de son modus operandi.
Pour les personnalités (artistes,
politiques, médecins, scientifiques…), dont l'aura, les connaissances et le
talent sont tels que le prix de leur petite incohérence est insignifiant au
regard des richesses qu'ils apportent au monde, le problème se pose probablement en des termes différents.
Fort de cette opinion, j’ai
décidé, au pied du mur il y a un 18 mois, de relever le défi de la cohérence dans
mon activité professionnelle, dont la pratique me semblait au départ vraiment difficile
à faire évoluer. Actuellement photographe de paysage, et pour éviter de tenir
les habituels discours extatiques sur la magnificence des espaces sauvages tout
en parcourant ceux-ci à raison de 120gr de CO2 minimum par km - je dis bien
minimum, nombre de mes confrères roulent en 4x4 ou en monospace - j’ai décidé de
changer mon savoir faire, en choisissant le déplacement à énergie musculaire et
les transports en commun, en me rendant sur des sites qui ne figurent pas a priori parmi les plus spectaculaires
du monde, mais qui depuis chez moi ne nécessitent ni le recours à l'avion, ni
celui à l'automobile.
Mon travail s'inscrit donc dans
une démarche privilégiant, forcément, la qualité plutôt que la quantité, la
réflexion plutôt que la production. Désormais chaque jour, je m'interroge selon
les termes d'un auteur récemment publié : "la vie vaut-elle d’être
efficace ou d’être vécue ?", et j'essaye d'assumer, entre bonheur et
désillusion, les multiples conséquences de la réponse.